Le projet de réforme des études universitaires à travers la mise en place d'un système de crédits

Le ministre Jack Lang est venu présenter au CNESER le projet d’organisation des études supérieures sous forme de crédits, présenté dans le cadre d’une " nouvelle étape de construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur ". Un avant-projet avait déjà été diffusé en janvier et avait fait l’objet d’une prise de position très négative du Bureau de QSF (Position du Bureau de QSF sur " La construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur ", Bulletin QSF n° 1/2001, pp.32-34.). Une version remaniée de ce document a servi de base aux débats du CNESER le 23 avril. A vrai dire, la discussion s’est surtout engagée à partir de l’exposé très complet du ministre qui apporte un éclairage un peu différent et à vrai dire moins caricatural.

On présentera ici les grandes lignes de l’exposé du ministre, les principales réactions recueillies au sein du CNESER et en particulier celles présentées au nom de QSF par son président lors de cette séance.

I – La présentation ministérielle

Le ministre a indiqué trois grands objectifs :

De façon concrète, la réforme consisterait à mettre au point un système européen de crédits (ou de points) cumulables par capitalisation. Une année correspondrait à 60 crédits, un semestre à 30. Ce système permettrait à un étudiant, dans le respect de l’autonomie des universités, de compléter sa formation à l’étranger et donc de favoriser la mobilité, mais suppose une transformation de notre organisation pédagogique. Le système serait modulaire et semestrialisé (allusion au maintien de ce que les étudiants considèrent comme " les acquis " de la réforme Bayrou de 1997). Les modules pourraient être définis pas seulement par leur volume (horaire) ni même par leur contenu, mais par le travail et les connaissances exigées. Les unités de compte seraient semblables entre les différents pays.

Pour M. Lang, l’adoption d’un tel système de crédits pourrait être l’occasion d’atteindre les objectifs indiqués ci-dessus : mobilité des étudiants, diversification et pluridisciplinarité des cursus, formation continue, professionnalisation (notamment en permettant de mieux prendre en compte les stages, les activités pratiques, etc.). Il faciliterait en outre l’apport de réponse aux étudiants en difficulté et leur offrirait des possibilités de passerelles. Cela peut enfin répondre à la diversification (en termes de contenus comme de méthodes) des besoins de formation.

Les conditions de mise au point d’un tel système sont, selon le ministre :

Une telle réforme suppose, insiste M. Lang, un véritable débat sur l’ensemble de l’enseignement supérieur. L’objectif que propose le ministre est de parvenir au début de l’été à un texte cadre permettant de présenter les habilitations dans ce cadre.

Le nouveau système, souligne-t’il, ne doit pas se substituer à celui mis en place en 1992 (réforme dite Jospin-Lang) et en 1997 (réforme dite Bayrou). Il doit améliorer la qualité de l’enseignement. Il ne doit surtout pas engendrer de nouvelles inégalités. Il suppose une évaluation renforcée. Il devrait s’agir d’un changement progressif, mais avec un calendrier (le délai de mise en place complète pourrait être de 3 à 5 ans).

En réponse aux premiers intervenants, M. Lang a réaffirmé la nécessité de faire l’Europe de l’éducation, de la culture, de la science et de la recherche. Il a insisté sur la diversité des langues (ne pas penser qu’à l’anglais) et a souhaité que le calendrier ne soit pas trop étendu.

II – Les réactions au projet ministériel

La conférence des Présidents d’Université (CPU), saisie de l’avant-projet de texte ministériel, l’avait approuvée à la quasi-unanimité. Cette position a été réaffirmée le 23 avril. Le président PETIT, président de la commission de pédagogie de la CPU, a d’ailleurs été chargé par le ministre d’une mission d’approfondissement du projet. Ce dernier a ajouté que la réforme permettait la création d’un mastaire unique avec plusieurs orientations possibles. Mais il a souligné que la réforme aurait des implications sur le fonctionnement des universités (pas seulement pédagogique) et nécessitait des moyens supplémentaires. Le président Molinié a indiqué que la CPU proposait que les universités puissent passer des contrats avec leurs enseignants-chercheurs qui pourraient moduler leurs services (Très ancienne revendication de QSF qui avait connu un timide début d’application dans le cadre du décret de 1984, mais qui a été vite abandonné lors d’une révision de ce décret). Il a également évoqué une " mutualisation " des formations à inventer pour renforcer l’équité entre les établissements. Le président Froment (récemment élu à Salamanque président d’une association européenne) a estimé que la proposition ministérielle allait tout à fait dans le sens du débat européen en cours et a insisté sur l’importance à accorder à l’apprentissage des langues étrangères.

Le représentant de la CEDEFI (formations d’ingénieurs) a également approuvé le projet, tout en écartant l’hypothèse d’une attribution du titre d’ingénieur par addition de crédits. Il a fait part de ses craintes de voir apparaître des mastaires peu cohérents.

Le représentant du MEDEF a apporté un soutien assez clair au projet de réforme. Mais il a insisté sur la nécessité de mobiliser les milieux économiques et sur celle de cohérence des parcours. Il a en outre posé trois conditions nécessaires, selon lui, à la mobilité internationale des étudiants :

Parmi les organisations syndicales enseignantes, le SNE-Sup (FSU) a adopté une attitude prudente. Son représentant a évoqué la nécessité du travail en commun au sein des équipes pédagogiques. Il a insisté sur le problème des moyens et a estimé irréaliste le calendrier proposé par le ministre si l’on souhaitait un débat approfondi. Mais il n’a pas caché que, sur le fond, il ne partageait pas l’approche ministérielle car, attaché à une logique de service public universitaire, il voyait dans le projet une logique libérale et donc un risque de déstructuration des formations (et donc une crainte quant au maintien des diplômes nationaux) et qu’il estimait que la mobilité étudiante devait être orientée.

Le SGEN-CFDT s’est félicité de l’ouverture d’un débat, mais estime des approfondissements nécessaires et redoute une approche bureaucratique trop formelle. Son représentant a exprimé le vœu que le nouveau système concerne aussi ceux qui sont hors du système universitaire. Il a enfin réclamé un texte-cadre avec un calendrier précis.

Le syndicat autonome s’est déclaré favorable à l’Europe de l’éducation. L’orientation lui paraît bonne, mais il se méfie de l’application. Il a demandé qu’on étudie bien les aspects juridiques de la réforme, qu’il redoute complexes.

La FEN s’est déclarée favorable au projet, tout en réaffirmant son attachement au service public universitaire et à sa qualité.

L’UNI a déclaré aborder le projet sans a priori, mais a estimé qu’il y avait des contradictions à résoudre. Il a relevé un point de désaccord : il ne faudrait pas oublier la vocation professionnelle de l’université.

Parmi les organisations étudiantes, l’UNEF-ID a fait part d’une réaction favorable à l’harmonisation européenne et relevé une certaine audace du projet. Son représentant a insisté pour qu’on évite de rechercher l’uniformité et demandé qu’au contraire on s’appuie sur la diversité et qu’on établisse des passerelles. Il a estimé que la pluridisciplinarité supposait un fléchage. Il a posé les questions des langues vivantes, des moyens de mise en œuvre.

La FAGE s’est déclarée favorable à une harmonisation européenne, mais en évitant de transformer les étudiants en cobayes pédagogiques.

L’UNEF-Solidarité étudiante a lu une longue déclaration assez confuse dont le ton général était celui de la prudence, voire de la méfiance à l’égard du projet ministériel.

On voit que ces réactions sont en majorité prudentes et loin de traduire la quasi-unanimité favorable dont le ministère se flattait.

III – L’intervention de QSF

M. Merlin, intervenant au nom de QSF, a rappelé la première réaction négative du Bureau de l’Association au vu du premier avant-projet de janvier : celui-ci semblait renforcer les inconvénients dénoncés dans la réforme Bayrou (balkanisation des études, possibilité de parcours incohérents, lourdeur de mise en œuvre nécessitant beaucoup d’énergie des enseignants, en commissions et en examens, au détriment des enseignements et de leur recherche). La seconde version (28 mars) du projet gomme certes certains excès initiaux, mais demeure marqué d’un esprit démagogique. Heureusement, les propos du ministre marquaient une réflexion beaucoup plus équilibrée.

QSF pourrait se déclarer en accord avec les objectifs que celui-ci a énoncés, avec cependant une réserve importante au sujet de la pluridisciplinarité. Celle-ci peut être excellente pour des personnes de haut niveau ayant déjà acquis une formation dans une discipline, mais peut être le pire quand elle concerne des étudiants en début d’études qui se réfugient alors dans le flou de connaissances mal maîtrisées.

Par ailleurs, l’européanisation souhaitée ne serait-elle pas plutôt une américanisation ? C’est aux Etats-Unis que le système des crédits est généralisé : il est au contraire rare en Europe. Dans le même esprit, l’apprentissage des langues devrait être du domaine de l’enseignement secondaire et de la pratique. Mais en tout cas, il faut éviter de el limiter à l’anglo-américain.

Il y a par ailleurs une contradiction manifeste entre le souci de cohérence des parcours souhaité à juste titre par le ministre et la souplesse prônée par la note de la direction de l’enseignement supérieur. La réaffirmation incantatoire du maintien des diplômes nationaux s’accomodera mal de la souplesse décrite.

Il est positif d’envisager des cursus cohérents entre la licence et le mastaire, mais que deviendront les IUP, imposés (contre l’avis unanime du CNESER) par le précédent ministre (alors conseiller spécial) à Bac + 4 … au nom de l’harmonisation européenne ?

Enfin, cette réforme, si elle voit le jour –et il y faudra un calendrier beaucoup moins serré que celui qui a été annoncé- ne dispense pas de réduire les très graves inconvénients de la réforme Bayrou (pertes de temps en commissions multiples et en sessions d’examens démultipliées à l’envi). Au total, il faut prendre garde au risque que la réforme ne soit si complexe que seuls les plus malins, les mieux préparés socialement, sachent en tirer le meilleur parti, ce qui irait à l’opposé de la démocratisation que chacun déclare souhaiter.