À PROPOS DE LA SOI DISANTE HARMONISATION EUROPÉENNE

Lors du débat des 25 et 26 janvier 1999 au CNESER sur " l’harmonisation européenne des diplômes ", les représentants du ministre on prétendu " qu’il n’y avait pas de projet de réforme ", mais " un simple surlignage des nIveaux 3 et 5 ", tous les diplômes existants étant conservés.

M. Merlin, au nom de QSF, a repris les quatre conclusions de la réunion-débat sur ce thème organisée le 18 janvier par QSF (voir pages 4 à 20 de ce même numéro). Il a fortement mis en doute que l’harmonisation européenne soit le véritable motif de ce qui demeure, quoi qu’en dise le ministère, un projet de réforme.

A ce sujet, il semble utile pour les lecteurs de lire la déclaration commune du 25 mai 1998 des quatres ministres (France, Grande Bretagne, Allemagne, Italie) en charge de l’enseignement supérieur (voir dans ce numéro pages 21 à 23). On pourra relever la caractère plus que vague de cette déclaration et le fait qu’elle ne mentionne nulle part les niveaux 3, 5 ou 8, mais se contente d’évoquer avec prudence un niveau " pré-licence " et un niveau " post-licence " et dans ce cycle " post licence " le choix entre un diplôme plus court le " master " et un doctorat plus long en aménageant des passerelles entre l’une et l’autre.

Il semble donc que le ministère prépare une réforme en trompe l’oeil, non sans contradictions ni reculs, mais toujours dans la précipitation.

Rapport introductif de Pierre Merlin à la réunion-débat du 18 janvier 1999 sur le projet de réforme " 3, 5, 8 "

Introduction

L’Association pour la Qualité de la Science Française (QSF) a consacré le dernier numéro de son bulletin à un dossier d’information sur le projet de réforme ministérielle dit " 3,5 ou 8 ".

Ce dossier avait pour objet de mettre à la disposition des adhérents et des lecteurs du bulletin une information minimale sur un projet de réforme fondamentale de l’enseignement supérieur sur lequel le ministère maintenait paradoxalement, selon l’impression d’un membre du cabinet suivant ce dossier, le " silence radio ". Il essayait donc de réunir, à partir des rares documents ministériels et de comptes-rendus d’entretiens avec des responsables ministériels, une information sur le contenu -au reste fluctuant- de la réforme envisagée, ainsi que quelques points de vue émis à son sujet.

L’éditorial qui ouvrait ce numéro faisait certes état de positions sur cette réforme. Mais, discutées par le seul bureau de l’association, celles-ci constituaient surtout des observations sur la procédure et des questions plus qu’un jugement de fond. La réunion-débat du 18 janvier a eu pour objet de préparer une éventuelle prise de position sur le fond de la réforme.

Où en est la réforme?

La plus grande confusion règne, depuis le début, quant aux réelles intentions ministérielles, quant au contenu, au calendrier et à la mise en forme et en oeuvre de la réforme. Rappelons seulement que :

1 - Jacques Attali a remis début mai 1998 au ministre Claude Allègre le rapport, intitulé " Pour un modèle européen d’enseignement supérieur ", que celui-ci lui avait demandé quelques mois auparavant. Rappelons que ce rapport affirme : " Tout étudiant devra être assuré de quitter l’enseignement supérieur avec un diplôme à valeur professionnelle, s’il est prêt à accomplir les efforts pour en obtenir un. De plus, chacun devra pouvoir revenir vers l’université tout au long de sa vie, après un premier diplôme, pour atteindre, s’il le mérite, un niveau équivalent au moins à Bac + 3 ". Surtout, le rapport Attali, et c’est ce qui en a été essentiellement retenu, estime que " les niveaux pertinents de sortie seront à trois ans, avec la licence, après des études menées principalement en groupes à effectifs réduits ; à cinq ans avec une Nouvelle Maîtrise, faite d’enseignement, de stages et de recherche ; et à huit ans avec le doctorat (...) ". Le rapport Attali précise que la réforme ne nécessite pas la suppression des diplômes à Bac + 2 (DEUG, DUT, BTS) " qui ont su attirer de nombreux étudiants, pour une large part issus des milieux les moins favorisés et trouver une réelle légitimité aux yeux des employeurs ". Mais il n’indique pas les moyens nécessaires (et possibles?) pour assurer un enseignement par petits effectifs à tous les étudiants " prêts à accomplir les efforts nécessaires pour obtenir un diplôme à valeur professionnelle ", c’est-à-dire la majorité -on ne cite pas à nouveau l’objectif de 80 % d’une génération, mais on ne le renie pas- des jeunes.

2 - Après avoir semblé largement adhérer aux propositions du rapport Attali, le ministre Claude Allègre organisait à la Sorbonne (24 et 25 mai), à l’occasion du 800ème anniversaire (ou supposé tel) de l’Université de Paris, un " colloque de l’université européenne " qui se concluait par une déclaration des ministres chargés de l’enseignement supérieur des quatre principaux pays européens (Grande Bretagne, Allemagne, Italie et France) allant dans le sens de l’harmonisation des diplômes avec un niveau Bac + 3 (licence ou bachelor), un niveau Bac + 5 (nouvelle maîtrise ou master) et le doctorat (à Bac + 8). Vers la même date, le ministère annulait la campagne d’habilitation aux DEA pour 1999, lancée depuis plusieurs mois, et ceci quelques semaines avant la date de remise des dossiers : on laissait alors entendre que, dans la logique du rapport Attali, le DEA serait supprimé. Parrallèlement, le ministre signait le 9 juillet avec la Conférence des présidents d’université -dont on soulignera la tendance, une fois de plus, à approuver par avance une réforme encore plus qu’imprécise- une " déclaration commune en 11 points fixant un cadre général pour les réformes à conduire ".

3 - Le ministre a chargé le recteur Monteil d’une mission de concertation, effectuée au cours de l’été, qui, selon le ministre, " lui a permis de rencontrer tous les acteurs : conférence des présidents, des directeurs de grandes écoles, des directeurs d’IUT, d’IUFM, d’IUP, des directeurs d’UFR des grands secteurs disciplinaires, organisations syndicales des personnels, organisations étudiantes " (on notera que le recteur Monteil n’a pas jugé nécessaire de consulter QSF, dont la représentativité vient pourtant d’être à nouveau démontrée à l’occasion des récentes élections au CNESER). Officiellement au moins, le rapport du recteur Monteil aurait été seulement oral. En tout cas, rien de précis n’en a été diffusé.

4 - Il semble que ce soit à la suite des consultations du recteur Monteil, que les " confidences ministérielles " (en l’absence de toute déclaration officielle et de tout texte écrit sur le projet de réforme) ont permis de savoir qu’avait été retenu le principe " qu’aucun diplôme existant ne sera supprimé " et que " la semestrialisation sera étendue ". Le nouveau diplôme de second cycle, à Bac + 5, pourrait s’appeler " mastaire ", mais les DESS, les IUP (éventuellement invités à passer à Bac + 5 avec une entrée à Bac + 2) seraient maintenus (les magistères ne sont pas mentionnés). De même, le DEA serait maintenu, mais la politique ministérielle vise à regrouper au maximum les DEA au sein d’écoles doctorales.

5 - Ces orientations ont été officiellement confirmées lors de la conférence de presse du ministre le 30 novembre. A cette occasion, était également précisé que " la méthode pour la mise en place des nouveaux cursus sera celle du volontariat ". La circulaire Demichel-Garden du 6 novembre sur la campagne 1999 d’habilitation à délivrer des diplômes nationaux et les circulaires Garden des 9 et 10 novembre sur les écoles doctorales et les DEA invitaient les universités en fin de contrat en 1999 et celles qui, à mi-contrat à la même échéance, le souhaiteraient, à proposer des formations dans le nouveau cadre. Enfin, le ministère faisait le point de la concertation sur " l’harmonisation de l’architecture de l’enseignement supérieur européen " : aux quatre pays signataires de la déclaration du 25 mai, se seraient joints le Danemark, la communauté flamande de Belgique et la Bulgarie ; la Hongrie, la Suisse et la Tchéquie demanderaient à signer ; le Portugal, la Grêce, la Finlande, l’Autriche et la Roumanie auraient donné un accord oral ; les discussions seraient en cours avec l’Espagne, la Suède et le Luxembourg.

6 - Au mois de décembre, un double mouvement de contestation s’est amorcé

* d’une part, dans quelques universités, un mouvement de protestation étudiante, à vrai dire limité, sur la base du refus d’un allongement des études et de la crainte d’une sélection ;

* d’autre part, une réaction assez vive des organisations syndicales -enseignantes et étudiantes-, animée notamment par le SNE-Sup, organisation majoritaire chez les enseignants, visant surtout les conditions de mise en oeuvre de la réforme. Il est notamment reproché au ministère :

• l’absence de textes précisant le contenu de la réforme ;

• l’absence de concertation formelle sur la base de documents écrits ;

• le caractère invraisemblable d’une réforme, présentée comme fondamentale, que le ministère semble vouloir mettre en place de façon quasi subreptice, par circulaires, sans avoir présenté et a fortiori adopté, un texte en fixant les objectifs, le contenu et les modalités ;

• le flou de la politique des DEA et des écoles doctorales ;

• la hâte avec laquelle est effectuée cette mise en place subreptice : les universités n’auront eu que quelques semaines pour préparer leurs demandes d’habilitation aux diplômes nationaux (en décembre) comme leurs demandes concernant les DEA et les écoles doctorales (en janvier), alors que la réflexion longue entreprise pour les diplômes de troisième cycle par le lancement, dès l’hiver 1998, de la campagne d’habilitation pour 1999 a été brutalement interrompue en mai 1998.

Face à cette montée du mécontentement, le ministre a, à nouveau, tenu des propos apaisants et annoncé une concertation. Celle-ci a eu lieu lors d’une séance spéciale du CNESER les 25 et 26 janvier.

L’Association pour la Qualité de la Science Française ne peut que joindre sa voix à celle de ceux qui jugent cette méthode totalement inadmissible et sans précédent. Tel était le sens de la conclusion de notre éditorial du précédent bulletin : " Ce projet de réforme est trop important pour être traité dans la hâte et la confidentialité. Un débat national s’impose ".

Les enjeux de la réforme

1 - Le ministère met en avant la nécessité d’une harmonisation des diplômes à l’échelle européenne. Lors de sa conférence de presse du 30 novembre, il a insisté sur la nécessité de " permettre aux étudiants ayant commencé des études dans un pays et les poursuivant dans un autre d’être immédiatement accueillis au niveau correspondant sans avoir à redoubler ni passer des équivalences ".

L’insistance mise par le ministère pour élargir l’accord de principe obtenu lors du colloque de la Sorbonne au printemps va dans ce sens. Au-delà du discours officiel, il convient cependant de noter :

• que les pays européens sont loin de tous fonctionner selon un système 3, 5, 8 : tel est le cas essentiellement de la Grande Bretagne, mais elle est presque seule dans ce cas ;

• que l’harmonisation européenne avait déjà été avancée colmme argument par le conseiller spécial du ministre de l’Education nationale de l’époque pour justifier la création -alors très controversée- des IUP à Bac + 4 : le ministère, prenant acte de son erreur de l’époque, est en train d’envisager de les porter à Bac + 5, leur accès étant alors sans doute repoussé à Bac + 2.

2 - Ce souci d’harmonisation, si tant est qu’il soit réellement partagé par les autres pays européens, est alors contradictoire avec la décision - la position de repli?- de maintenir les diplômes existants, même s’ils ne correspondent pas aux niveaux privilégiés.

On ne peut pas ne pas être surpris par le flou qui entoure la réforme :

• Le maintien des diplômes à Bac + 2 (DEUG, DUT, BTS) a été proclamé depuis octobre. Mais le ministère reste d’une discrétion absolue sur l’existence ou non d’une sélection à l’entrée de la licence.

• Le maintien de la maîtrise (ancienne) à Bac + 4 a été avancée à partir de novembre. Quel est son statut? Comment s’harmonise-t’elle avec la création d’un " nouveau second cycle " entre Bac + 3 et Bac + 5?

3 - Le souci d’harmonisation et de clarification à l’échelle européenne ne suppose-t’il pas une clarification préalable à l’échelle nationale? Depuis le repli de la rentrée, ce n’est pas ce vers quoi on s’oriente, puisqu’aucun diplôme ne serait supprimé, mais des diplômes nouveaux (licence technologique, " mastaire ", qui pourrait être professionnel ou généraliste) seraient créés. Le paysage des diplômes universitaires français, déjà très compliqué, ne va-t’il pas devenir complètement illisible? Comment pourra-t’il être compris par les étrangers?

4 - Il demeure des interrogations quant aux effectifs et, pour employer un terme tabou, quant aux possibilités de sélection :

• Comment envisage-t-on les moyens permettant d’assurer, dans les trois années des nouveaux premiers cycles, ouverts à tous (le ministre a répété son adhésion à une non-sélection à l’entrée de l’université et à un enseignement gratuit), des enseignements à effectifs réduits?

• Le maintien des diplômes à Bac + 2 permet-il une sélection à l’entrée de l’année de licence? Faute de celle-ci, il faut se préparer à accueillir des étudiants inaptes à des études universitaires pendant six ans (durée qui sera autorisée pour suivre le nouveau premier cycle).

• Les mastaires professionnels permettront-ils une sélection, comme les DESS et plus modestement les IUP? Sinon, comment faire croire à une formation professionnalisée avec stages et intervention de professionnels de haut niveau ? Et comment faire croire à des débouchés suffisants à ce niveau?

• Quel sera le partage, à Bac + 3, entre les filières conduisant à un éventuel " mastaire " professionnel ou à un " mastaire " généraliste et celles orientées vers la recherche, plus longues donc supposées plus nobles? Comment éviter que des étudiants très moyens, et surtout peu enclins à la recherche, ne choississent la voie du doctorat parce qu’elle sera jugée plus prestigieuse et que, à l’inverse, de très bon étudiants ne choisissent la voie du " mastaire ", par modestie ou par volonté de pouvoir s’insérer le plus vite possible dans la vie professionnelle, d’autant que les débouchés demeurent incertains pour les docteurs? N’assiste-t’on pas déjà à cet effet dans le choix entre DESS et DEA?

Il reste donc bien des questions auxquelles des réponses doivent être apportées.

On observera, comme nous le faisions dans l’éditorial du précédent bulletin, que le projet de réforme fourmille d’idées intéressantes :

• la création, à Bac + 3, d’une licence technologique placée sous la responsabilité des universités, avec la participation des équipes pédagogiques des diplômes professionnels de premier cycle (et notamment des IUT) ;

• la généralisation d’un travail d’initiation à la recherche à Bac + 4 (maîtrise), comme cela se pratique déjà en lettres et sciences humaines ;

• la création, si elle est confirmée, en second cycle, de filières sélectives (" mastaires " professionnels; magistères -mais comment se distingueront ces diplômes volontairement élitistes?-, voire IUP poussés à Bac + 5 et, sur un autre registre, DEA) et de filières non sélectives (" mastaires " généralistes ou disciplinaires) ;

• le renforcement des écoles doctorales, à condition que le souci de leur taille ne compromette pas leur vocation de lieux d’échanges entre jeunes chercheurs, donc une spécialisation disciplinaire ou, mieux, thématique ;

• le souci de mieux préparer les futurs docteurs à une insertion professionnelle qui, pour beaucoup, devrait s’effectuer dans le secteur professionnel.

Conclusion

Le projet de réforme est capital. Le souci d’harmonisation européenne est pertinent. Mais, sur ce plan, on n’a pas le droit de se tromper. Plutôt que de collectionner des adhésions formelles (souvent orales) à une déclaration, elle-même floue, ne serait-il pas plus sage de prendre le temps d’une réelle mise à plat des situations et des différences entre les pays, de leurs origines (historiques, culturelles, mais aussi liées aux autres ordres d’enseignement), d’identifier les obstacles possibles à une harmonisation effective et de rechercher des solutions concrètes?

De même, est-il réaliste de penser qu’on bouleversera le système universitaire français en faisant l’économie d’un véritable débat national? La méthode employée est détestable. Il est plus que temps d’en changer. Cela prendra sans doute un peu plus longtemps. Mais ne vaut-il pas mieux réussir une réforme dans un an et demi que de la rater dans six mois?

Le ministère a déjà compromis une bonne part de sa réforme. En concédant, pour calmer le jeu, le maintien de tous les diplômes existants, n’a-t’il pas déjà vidé la réforme -et en particulier le souci d’harmonisation européenne- de son contenu? A moins qu’il n’ait, de façon maligne, l’intention d’inciter à l’entrée dans le nouveau système par l’attribution des moyens, comme cela s’est déjà pratiqué dans le passé? Ne craint-il pas alors qu’une réforme ultérieure ne vienne se surimposer à celle-ci et en annuler les effets positifs? N’aurait-il pas été plus pertinent de maintenir le cap des nouveaux niveaux (3, 5 et 8) et de négocier les transformations et adaptations nécessaires des diplômes existants pour rentrer dans le nouveau schéma dans un délai de l’ordre de cinq ans?

Il est vain en outre de refuser les débats essentiels parce qu’on sait que l’opinion n’y est pas prête et de céder à l’avance devant l’éventuelle descente dans la rue des étudiants (et des lycéens, futurs étudiants). Le principe de l’accès pour tous à un enseignement post-baccalauréat et à la gratuité des études supérieures est respectable. Mais il ne va dans le sens d’une réelle démocratisation que si les chances de réussir sont optimisées et les possibilités pour les meilleurs de se dégager sont assurées. Le système d’accès de tous les bacheliers, dont la majorité ne sont pas prêts à suivre de réelles formations universitaires, aux premiers cycles d’université est une fausse démocratisation qui ne peut aboutir qu’à des échecs massifs ou à la délivrance de diplômes de premier cycle dévalorisés. Au contraire, la création de structures de premier cycle diversifiées et la multiplication des passerelles, pour que chacun conserve sa chance s’il fait la preuve de ses aptitudes, est la voie suivie par la plupart des pays européens. La France gagnerait à s’en inspirer dans le cadre d’une politique d’harmonisation européenne bien comprise.

L’Association pour la Qualité de la Science française réclame un vaste débat. Elle demande qu’aucune question n’y soit taboue. Elle est prête à envisager les réformes les plus fondamentales et les plus globales si cette condition est remplie.