Jean-Claude Chottard et Pierre Merlin
Les écoles doctorales
Rapport introductif au débat du 18 juin 2001

I – Introduction

Les écoles doctorales ont été introduites en 1990 et les textes réorganisant les études de troisième cycle (arrêté du 30 mars 1992) leur ont accordé une place privilégiée mais facultative dans les études doctorales. Leur rôle était cependant limité (Il est significatif que l’Annuaire des DEA, publié par le ministère en novembre 1995 par exemple, ne mentionnait même pas les écoles doctorales). Cependant, les attributions d’allocations de recherche et la composition du jury étaient de leur ressort là où elles avaient été créées. Leur nombre, réduit au départ (32 en 1990), a néanmoins crû rapidement (208 en 1996).

La quasi-généralisation du fonctionnement en écoles doctorales est intervenu aux rentrées 1998, 1999 et 2000. Cela s’est effectué pratiquement sans modification des textes en vigueur : un très court arrêté du 21 juillet 1999 (publié donc alors que le renforcement des écoles doctorales était déjà largement amorcé), modifiant celui du 30 mars 1992, a précisé la composition et renforcé le rôle du conseil de l’école doctorale. Il existe, en 2000-2001, 311 écoles doctorales regroupant quelque 1.500 DEA (il est surprenant que les documents ministériels ne mentionnent que ce nombre approximatif. Il n’y avait que 1.230 DEA en 1998-99 et on peut être surpris de la croissance que ce chiffre impliquerait (plus de 20 % en deux ans), à moins que cela n’ait été le prix payé lors des campagnes d’habilitation pour obtenir le regroupement des formations en écoles doctorales). Il ne subsiste plus que 18 formations de DEA hors école doctorale. C’est paradoxalement dans les disciplines scientifiques, et en particulier en mathématiques et informatique, que la constitution des écoles doctorales a été la plus lente (seulement 16 écoles doctorales pour cette dernière direction scientifique et moins de la moitié des inscrits en DEA en 1998-99 contre 73 et plus des trois quarts des étudiants de DEA en sciences de la société). Compte tenu de la durée des thèses, il faudra cependant plusieurs années avant que la quasi-totalité des thèses soutenues l’aient été dans le cadre des écoles doctorales (cette proportion n’a gagné qu’un point entre 1998 et 1999 et atteint à peine 70 % ; celle des inscrits en thèse dans le cadre d’une école doctorale est passée de 70 % à 77 % et celle des inscrits en DEA de 70 % à 76 % entre 1998 et 2000).

Dans l’esprit des promoteurs du système des écoles doctorales -M. ALLEGRE comme conseiller spécial, puis comme ministre, M. COURTILLOT, directeur de la recherche de 1989 à 1993 et après 1998) et M. GARDEN, chef de la mission scientifique universitaire-, les écoles doctorales ont pour objectif de structurer le service public d’enseignement et de recherche en assurant une formation de qualité, en permettant la construction d’un projet professionnel par les futurs docteurs et en faisant mieux connaître les formations doctorales aux employeurs (cette visibilité étant également importante à l’échelle internationale. Ils n’excluent pas que cette transformation des études doctorales mette longtemps (peut-être vingt ans) à porter pleinement ses fruits.

Pour les observateurs, on ne peut cependant pas ne pas remarquer :

C’est la raison pour laquelle, l’association pour la Qualité de la Science Française a souhaité améliorer la connaissance en menant une enquête auprès des universités (un questionnaire a été adressé aux vice-présidents des conseils scientifiques) et en organisant une réunion-débat. Malheureusement, l’enquête n’a rencontré qu’un écho limité auprès des universités (8 seulement ont répondu). L’information a été complétée auprès de la mission scientifique universitaire du ministère.

II – Les résultats de l'enquête

L’enquête comportait 16 questions (plus une question totalement ouvertes pour les commentaires additionnels spontanés) : 8 de caractère factuel et statistique, 5 concernant le fonctionnement des écoles doctorales et 3 concernant les opinions relatives à celles-ci.

Les 8 universités qui ont répondu ne reflètent qu’imparfaitement la variété des universités françaises :

On notera l’absence d’université scientifique et l’absence des universités de Paris et de sa région (hormis Cergy-Pontoise).

1 – Les informations statistiques

Les données statistiques fournies par les universités ayant répondu font apparaître des différences extrêmement importantes (tableau I) :

Cette dernière remarque a conduit à construire un certain nombre d’indicateurs simples (que le ministère pourrait établir avec profit pour chaque université; ce dont il se garde bien car cela irait à l’encontre de ses pratiques de " saupoudrage " des habilitations, des allocations de recherche et des moyens en général. Voir tableau II), simples rapports entre les données précédentes. Il en ressort des différences immenses entre les universités :

Ainsi, même en dehors des deux cas extrêmes de Lyon III et de l’UTC, il apparaît d’immenses différences entre des universités pluridisciplinaires ou de sciences " molles ". Ces différences ne peuvent que traduire des politiques très différentes en matière pédagogique et scientifique (conditions de sélection à l’entrée du DEA puis en début de thèse, rôle accordé au DEA, importance de l’encadrement des doctorants. Il est clair que le ministère aurait beaucoup à apprendre de l’examen de tels ratios université par université ou discipline par discipline (et en croisant les deux). En tout cas, ces résultats ne permettent pas de penser que lkes écoles doctorales sont conçues selon le même modèle dans ces universités. Encore, rappelons que notre échantillon restreint ne comporte pas de grande université scientifique ni d’université de Paris-centre (dont la présence accroîtrait certainement encore l’hétérogénéité des résultats).

2 – Le fonctionnement des écoles doctorales

Notre échantillon est bien restreint. Les 8 universités qui ont répondu ont au total 14 écoles doctorales. On a vu que 4 n’en avaient qu’une dont deux, qui, dans des universités petites (Corte) ou moyennes (Angers) et multidisciplinaires étaient elles-mêmes multidisciplinaires. Les deux autres couvrent tout le champ des disciplines de leur université : " Lettres et sciences humaines " à Lille III ; " Sciences pour l’ingénieur " à Compiègne.

Les autres écoles doctorales de notre échantillon couvrent elles aussi un vaste champ de disciplines :

Ce dernier cas est le seul dans notre échantillon restreint où les écoles doctorales correspondent à une seul (grande) discipline.

12 des 14 écoles doctorales rencontrées sont mono-établissements (ou les universités ayant répondu, pilotes de ces écoles doctorales, ont négligé de mentionner leurs partenaires). Les seules collaborations mentionnées concernent les universités d’Angers (avec le centre local de l’INRA, l’Institut National d’Horticulture et l’Ecole Supérieure des Sciences Commerciales de la ville)et de Toulouse I (avec l’EHESS de Paris, L’Ecole Nationale Supérieure de l ‘Aéronautique , l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile et l’ENSICA pour l’école doctorale de sciences économiques). Enfin, Cergy-Pontoise signale être associée (minoritaire) à l’école doctorale " Economie et mathématiques Paris-Ouest) dont Paris X est pilote).

Au plan national, chacune des 311 écoles doctorales réunit en moyenne 4 formations de DEA et il en existe en moyenne 3 ou 4 par université. Ce sont selon les cas :

Au total, on a l’impression que les écoles doctorales ont été, sauf rares exceptions, non conçues en tant que telles mais des regroupements de DEA, parce que c’était une clause favorable, puis quasiment obligatoire, pour obtenir du ministère habilitation (ou reconduction de celle-ci), reconnaissance et moyens (et notamment allocations de recherche). En d’autres termes, les écolkes doctorales ne seraient pas en elles-mêmes porteuses d’une dynamique de structuration de la recherche. A l’appui de cette affirmation, on peut observer que les écoles doctorales ne sont mentionnées ni dans les contrats de plan Etat-régions, ni dans le " Schéma de services collectifs de l’enseignement supérieur et de la recherche " récemment établi, ni dans les documents du plan Université Troisième Millénaire (U3M). Tel n’est pourtant pas le point de vue des universités ayant répondu à notre enquête, comme on le verra. Mais quelle est la part, dans ces réponses, de l’autojustification des choix effectués et de ce qu’il faut bien appeler le discours unique du milieu universitaire officiel.

La composition du conseil de l’école doctorale, fixée par l’arrêté du 21 juillet 1999, laisse peu de place à des fantaisies (la réponse de l’Université de Corte est simplement le recopiage du texte de l’arrêté). La dimension maximale (24 membres) a presque partout été retenue. Les personnalités extérieures représentent entre un quart et un tiers du conseil (l’arrêté spécifie un tiers). Un étudiant de DEA et deux (parfois trois) doctorants sont représentés dans ce conseil qui comporte parfois (mais pas toujours) un IATOS. Les autres membres (12 ou 13 le plus souvent) sont des représentants (en général les directeurs) des centres de recherche, des formations de DEA, parfois des UFR et des enseignants-chercheurs habilités. Peu d’universités précisent les critères de choix des personnalités extérieures (Angers, Picardie) : il s’agit alors de personnalités régionales en rapport avec les milieux de recherche (dans les entreprises ou dans les institutions. L’école doctorale de sciences économiques de Toulouse I déclare choisir des personnalités " au niveau européen ". Les universités qui ont intégré des enseignants-chercheurs dans le conseil de l’école doctorale sont peu disertes sur leur mode de choix (élection ?) : l’Université de Picardie mentionne " un souci d’équilibre ".

Les universités ne répondent pas à la question sur les rapports entre le directeur de l’école doctorale et les responsables des formations de DEA.

La question de la durée optimale du mandat des directeurs d’école doctorale (l’arrêté mentionne un mandat de quatre ans renouvelable une fois) donne également lieu à des réponses classiques : la plupart des réponses mentionnent quatre ans (sans préciser si le renouvellement paraît souhaitable ou non) ; quelques-unes (qui n’ont sans doute pas le rythme des contrats en tête) indiquent 3-4 ans (Angers), 3 à 5 ans (Toulouse I) ou 5 ans (Lille III) ; d’autres (Lyon III et l’UTC) retiennent 8 ans, maximum permis par l’arrêté.

La question la plus délicate du fonctionnement des écoles doctorales est sans conteste la répartition des allocations de recherche. Les procédures sont très diverses entre les établissements. Qu’on en juge :

Au total, ces critères sont donc très variés et parfois contradictoires. Il est en effet très difficile de concilier la qualité des candidats, les capacités d’encadrement (donc la qualité des laboratoires et des directeurs de recherche), les priorités scientifiques de l’école doctorale (et des DEA et des équipes de recherche), le souci d’équilibre entre les formations de DEA et les équipes de recherche, etc. Le passage à l’échelle de l’école doctorale a pu, dans certains cas, briser le rôle excessif du responsable de DEA, mais n’est-ce pas au prix d’autres effets pervers ?

3 – Les opinions sur les écoles doctorales

Cette dernière partie de l’enquête, dont on attendait le plus, est la plus décevante, tant les réponses sont formelles. De façon générale, à les lire, on noterait un degré très élevé de satisfaction vis-à-vis du nouveau système. Mais cette quasi-unanimité contraste avec le caractère largement formel observé dans la structure des écoles doctorales elles-mêmes, avec les difficultés révélées par la répartition des allocations de recherche, avec le fait que les réponses relatives au fonctionnement des dites écoles doctorales ne mentionnaient aucun élément susceptible de faire croire à un progrès quant au fond du fonctionnement scientifique au sein des universités.

Force est cependant de reconnaître que la majorité des universités de notre échantillon restreint estiment que les écoles doctorales devraient avoir le choix des formations de DEA (seules les universités d’Angers et de Picardie ne sont pas de cet avis). Toutes estiment que l’attribution des allocations de recherche doit être de leur ressort (même là où ce n’est pas pratiqué comme dans deux des ED de Toulouse I). Toutes (sauf Angers) pensent que les compléments de formation par rapport à la formation disciplinaire des doctorants doivent être organisés par l’école doctorale. L’unanimité est réunie pour les enseignements destinés à favoriser l’insertion professionnelle des futurs docteurs. La majorité (seules font exception Lyon III et Corte) y ajoutent des enseignements communs aux différents DEA.

L’unanimité semble également se faire pour considérer que les écoles doctorales favorisent la multidisciplinarité. Mais aucune ne justifie ni ne commente vraiment cette affirmation, ni a fortiori ne s’interroge sur la nature et les apports de cette multidisciplinarité (il est vrai que le questionnaire se limitait à demander de commenter la réponse), qui semble elle aussi se rattacher à la pensée unique actuellement dominante dans les milieux universitaires. Une réponse au moins est paradoxale : celle de Lyon III où l’on estime que " chaque étudiant peut aller suivre des séminaires … dans les autres écoles doctorales de l’université ".

Enfin, l’unanimité semble aussi se faire pour considérer que les écoles doctorales ont représenté un progrès par rapport au système antérieur des formations de DEA indépendantes. Mais les arguments apportés en ce sens apparaissent bien, minces. La plupart des universités de notre petit échantillon évoquent, sous des formes diverses, une meilleure structuration et une lisibilité améliorée de la recherche. Lyon III le justifie par " le rassemblement des DEA d’une même discipline ou de disciplines très proches ", mais cet argument ne vaut à l’évidence pas pour les écoles doctorales uniques ou couvrant un champ très large. L’UTC évoque " le décloisonnement disciplinaire (mais que signifie celui-ci lorsque toutes les disciplines sont réunies dans une seule ED ?). Seule l’université de Corte évoque de façon précise des modules originaux (définition d’un projet professionnel, gestion de projet, connaissance de l’entreprise, etc.), la participation des doctorants aux colloques et écoles d’été qui ont lieu dans l’université, les " doctoriales ", des sessions de présoutenances et le rôle d’un " Institut de créativité d’entreprise " auquel est liée l’ED. Plusieurs (Lyon III, UTC, Angers, Corte) évoquent un moindre isolement des doctorants. L’université de Corte évoque un rôle d’incubateur que jouerait son école doctorale. L’université de Picardie évoque la destruction des " bastions " que représentaient certaines formations de DEA (mais l’école doctorale ne risque-t’elle pas d’en constituer un beaucoup plus solide ?).

Au total, le degré élevé de satisfaction exprimé, mais l’absence de, justifications ou de commentaires sur cette satisfaction laissent une impression de malaise. Et si les universités qui ont répondu se limitaient à réciter le discours officiel ? Si elles cherchaient seulement à justifier a posteriori un système dans lequel elles sont entrées non par choix mais parce qu’il ; leur apparaissait comme une voie obligée. N’accueilleront-elles pas de la même façon une autre réforme, si cet accueil conditionnait le maintien ou la croissance de leurs moyens ? En quoi ces " écoles doctorales " très hétérogènes et qui demeurent des fédérations de DEA sont-elles de véritables écoles, comparables aux grandes écoles ou aux doctoral schools américaines ?

III – Quelques questions sur les écoles doctorales

La faiblesse de l’échantillon des universités ayant répondu à l’enquête et l’aspect formel des réponses n’a pas permis d’approfondir certains aspects du fonctionnement réel des écoles doctorales. C’est pourquoi, plutôt que de formuler des conclusions, on posera, pour finir, un certain nombre de questions :