Pierre Merlin
Les bibliothèques universitaires
Projet de rapport introductif au débat : 2 mars 2002

Introduction
Le problème des bibliothèques de lecture publique a été posé dès le début des années 1980, avec un effort sans précédent entrepris en leur faveur, sous l’égide du ministre de la Culture Jack Lang, par la direction du livre et de la lecture dirigée par Jean Gattegno. Celui des bibliothèques universitaires (BU) ne l’a été qu’à la fin de la même décennie avec le rapport Miquel et les premiers projets du programme Universités 2.000.

Les moyens accordés aux BU ont dès lors augmenté de façon spectaculaire, peut-être comme jamais auparavant. Mais cette période a coïncidé avec une croissance rapide des effectifs étudiants jusqu’en 1997. Ce n’est que depuis cette date que les ratios rapportant les moyens des BU aux effectifs étudiants ont réellement progressé.

Treize ans après le rapport Miquel, la situation des BU peut-elle être considérée comme satisfaisante ? Ou au moins comme nettement améliorée ? Les évolutions des dernières années permettent-elles d’espérer une amélioration significative à un horizon raisonnable ?

Au-delà des aspects quantitatifs (surfaces construites, volume des collections, crédits de fonctionnement et en particulier d’acquisitions, effectifs des personnels), le problème des BU ne doit-il pas être posé aujourd’hui aussi en termes qualitatifs : De quels emplois ont-elles besoin en priorité ? Quels rapports doivent-elles entretenir avec les universités ? Quelles relations faut-il établir avec les bibliothèques de lecture publique et surtout avec la Bibliothèque Nationale de France.

I – La situation en 1989 : le rapport Miquel
1 - Des objectifs clairs
Evoquant, à propos de l’état des bibliothèques universitaires, les termes de " scandale " et d’ "injustice ", le rapport Miquel (Miquel (André).- Les bibliothèques universitaires, rapport au ministre d’Etat, ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports.- Paris : La Documentation française, 1989) dressait un état des lieux sans complaisance et soulignait le handicap qui en résultait non seulement pour la population étudiante, mais aussi pour la recherche, pour l’édition, voire pour la langue française. Pour éviter que le France ne devienne, dans ces domaines, " le parent pauvre de l’Europe ", le rapport fixait à chaque BU des objectifs simples :

Il recommandait la mise en place d’un Conseil supérieur des bibliothèques, commun aux ministères chargés de l’éducation nationale, de la culture et de la recherche.

2 – Un bilan catastrophique
La situation des BU, en 1988-89, était tout autre.

Beaucoup d’étudiants " ne franchissaient jamais le seuil d’une bibliothèque universitaire". A l’inverse, le public fréquentant les BU était fidèle malgré les difficultés matérielles rencontrées (manque de places de lecteurs, accès difficile à des documents pas toujours bien conservés). Mais il était hétérogène selon la discipline, le niveau d’études, le mode d’organisation des enseignements. L’au horaires d’enseignement s’était effectuée au détriment du temps de travail personnel et les étudiants étaient naturellement conduits à préférer le " tout cuit " des polycopiés et des documents photocopiés. La faible coordination entre les enseignants et les bibliothécaires aggravait ces handicaps.

Sur le plan des moyens, la situation était catastrophique :

Le rapport Miquel relevait de nombreux autres dysfonctionnements du système des BU françaises, concernant  :

3 – De nombreuses recommandations
Les recommandations contenues dans le rapport Miquel constituaient l’énoncé d’une véritable nouvelle politique. Elles ont d’ailleurs été reçues comme telles et ont orienté depuis l’action des pouvoirs publics et des BU elles-mêmes.

Parmi ces recommandations, on retiendra ici :

Le rapport se concluait en rappelant que " les chiffres – et les moyens- ne sont rien s’ils ne s’accompagnent pas de la définition d’une nouvelle politique et de l’avènement d’un nouvel esprit ".

II – Des progrès importants depuis 1989
(Cette partie s’appuie essentiellement sur deux notes de M. Claude JOLLY, sous-directeur des bibliothèques : Bibliothèques universitaires, s. d., 13 pages, Les universités françaises et leur documentation : une politique et son évaluation (1989-2001), s. d., 8 pages, et un article du même auteur : "Bibliothèques universitaires : Regard sur les changements", in BBF, T. 46, n° 6, pp. 50-54. Voir aussi : Conseil supérieur des bibliothèques.- Rapport pour les années 1998-1999, 1999, 120 pages)
Le rapport Miquel a été le point de départ d’une véritable politique en faveur des bibliothèques universitaires. Cette politique a comporté une rupture dans la croissance des moyens qui leur ont été alloués (locaux, personnels, crédits de fonctionnement et donc acquisitions). Mais cette progression quantitative a accompagné, jusqu’en 1997, l’accroissement rapide des effectifs étudiants liée à la politique visant à amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. Ce n’est donc que depuis cinq ans que les ratios par étudiant s’améliorent. Mais cette politique a aussi comporté un volet structurel qu’il convient de ne pas négliger.

1 – Des progrès significatifs en termes de moyens

- Sur le plan des constructions, le plan " Universités 2.000 " a été lancé en 1990 et s’est étalé sur la période du Xe plan (1989-1993). Il a été prolongé par le XIe plan (1994-1998, lui-même prolongé en 1999). Il s’est traduit par un important effort de constructions universitaires : près de 4 millions de m2 ont été construits au cours de la dernière décennie (Voir Bulletin QSF, 1995 n° 2, 1.998 n° 2 et 2.001 n° 1), un peu plus jusqu’à 2002.

Les bibliothèques n’ont pas, à proprement parler, été considérées comme un élément prioritaire de ce plan, dont les projets ont été négociés entre les universités et le ministère de l’Education nationale et les collectivités territoriales qui ont apporté près de la moitié de l’ensemble des financements. Pourtant, un important travail de réflexion a été mené sur les constructions de bibliothèques universitaires à travers un groupe de travail ayant pour objet de compléter sur ce plan le rapport Miquel, dont le rapport (Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports.- Bibliothèques universitaires : principes et méthode de programmation (rapport du groupe de travail présidé par M. Pierre Merlin), mai 1991, 115 pages) a été prolongé par un ouvrage qui sert depuis de manuel de référence en la matière (M.F. Bisbrook et D. Renoult (éd.).- Guide pour la construction des bibliothèques.- Paris : Editions du Cercle de la Librairie, 1993, 304 pages). Cependant, ce sont quelque 310.000 m2 de locaux (un peu plus de 7 % du total) qui ont été construits pour les BU au cours de cette période et jusqu’à 2.001 compris, alors qu’aucune construction n’avait eu lieu pendant deux décennies (de 1870 à 1990) (Cette longue période de non construction est intervenue après une période d’intense construction de locaux universitaires entre 1955 et 1970 : on estime que 95 bâtiments, représentant 440.000 m2 de BU, ont été construits pendant cette période, soit près des trois quarts du stock demeuré stable de 1970 à 1990. Rappelons que les effectifs étudiants sont passés de 158.000 à 761.000 entre 1954 et 1974). La surface des BU a ainsi été augmentée de moitié (de 610.000 à 920.000 m2) en onze ans. Près de 40.000 places de lecture ont été créées. Le ratio par étudiant est passé de 0,53 à O,64.

Cependant, cet effort de construction a été, jusqu’en 1995, plus lent que la croissance des effectifs étudiants. Ces derniers ayant légèrement régressé à partir de cette date, ce n’est qu’en 1997 que le ratio de 1990 a été à nouveau atteint : il était même tombé aux alentours de 0,45 vers 1994-1995. La stagnation des effectifs s’étant poursuivie depuis, ce ratio a progressé de plus de 30 % en six ans. La progression des places de travail a été un peu plus rapide : 56 % entre 1990 et 2.000 et + 21 % par étudiant (+ 31 % de1995 à 2.000).

- En matière d’effectifs des personnels, 1.901 emplois ont été créés au cours des 13 années 1.990 à 2.002, soit une augmentation d’un peu plus de moitié. Si cette croissance a été plus rapide que celle des effectifs étudiants sur l’ensemble de la période, là encore ce n’est qu’à partir de1997 que le rapport des personnels aux effectifs a dépassé son niveau de 1989.

- Pour les crédits de fonctionnement, la croissance des subventions entre 1.990 et 2.002 a été de 164 % (de 229 à 604 millions). Ramenée en francs constants, elle représente encore environ 30 % en 12 ans, soit environ 2,3 % par an de croissance moyenne. Contrairement à ce qu’on a observé pour les locaux et pour les emplois, la croissance a été continue et plus rapide que celle des effectifs étudiants. Ces subventions de l’Etat représentent en moyenne un peu plus de 60 % des crédits de fonctionnement des BU (un peu plus de 20 % provient des droits de versés par les étudiants, le reste de ressources propres ou en capital et d’autres recettes). La croissance des dépenses documentaires a presque suivi celle des recettes : ce résultat n’allait pas de soi, car il supposait une capacité et une disponibilité suffisantes en matière de personnels des BU. Les crédits consacrés aux acquisitions sont passés de 158 à 415 millions entre 1.990 et 2.000 (+ 163 %), soit de 69 % à 76 % du montant des subventions de fonctionnement. Les acquisitions de monographies françaises ont augmenté de 132 % (de 323.000 à 750.000 volumes), les abonnements à des périodiques français de 89 % (de 36.000 à 68.000 titres) ; celles de monographies et d’abonnements étrangers respectivement de 68 % et de 40 %.Les acquisitions de ressources électroniques (cédéroms, DVD, etc.) représentent près de 15 % des budgets d’acquisitions.

- Enfin, les rapports traduisant le service rendu par les BU ont été en amélioration constante. Les effectifs des étudiants inscrits ont augmenté de plus de 20 % (avec cependant une légère décroissance depuis 1997, en décalage de deux ans par rapport à celle des effectifs étudiants). La part des étudiants inscrits en bibliothèque est ainsi passée de 56 % à 72 %, mais a légèrement décru ensuite (un peu moins de 70 % actuellement). Le nombre d’entrées dans les BU et le nombre de prêts ont crû encore plus vite, doublant entre 1990 et 2.000. Cette progression remarquable est en partie due à l’augmentation du nombre de places, à celle des personnels et à l’accroissement des collections. Mais elle a été continue depuis 1989 et toujours plus rapide que celle des effectifs étudiants. Il y a donc eu amélioration continue du service rendu, ce qu’il faut sans doute mettre en rapport avec une modernisation des BU (informatisation notamment) qui les a rendues plus attractives et surtout avec l’augmentation significative des horaires d’ouverture (elle-même permise par l’augmentation des emplois) : de 40 à 56 heures en moyenne. Parallèlement, la part des documents en accès libre est passée de 20 à 35 % au cours de la dernière décennie.

Au total, l’évolution des moyens des BU a sans conteste été positive pendant la douzaine d’années écoulées depuis la publication du rapport Miquel. Certes, les surfaces, les placers offertes, les effectifs de personnel ont eu du mal à suivre la forte croissance des effectifs étudiants jusqu’en 1.995. Mais l’aggravation du retard pris entre 1989 et 1995 a été rattrapée en deux ans (de 1.995 à 1.997). Et sur le plan des recettes, des acquisitions et surtout de la fréquentation, la progression a été continue et spectaculaire.

2 – Des progrès structurels tout aussi significatifs

La progression de la fréquentation, qui est finalement l’objectif d’une politique des BU n’est donc pas seulement due à celle des moyens des BU, si importante qu’ait été celle-ci. Il ya donc eu des réformes qualitatives ou structurelles qui ont eu des effets positifs indéniables. On peut citer :

- La réorganisation des bibliothèques en services communs de documentation. Il s’agit en fait d’une réforme antérieure au rapport Miquel (elle résulte d’un décret du 4 juillet 1985 pris en application de l’article 25 de la loi de 1984), complété pour les académies de la région Ile-de-France (et la bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg). Les services communs assurent l’intégration des BU dans les universités (au prix d’une perte certaine d’autonomie). Surtout, ils regroupent, à travers des bibliothèques intégrées ou associées, les autres centres documentaires des universités (qui représentaient en moyenne les deux cinquièmes du potentiel documentaire, soit les deux tiers de celui des BU).

- Les contrats quadriennaux passés entre les universités et l’Etat comportent un volet documentaire qui permet une réflexion, puis un engagement pour quatre ans, sur la politique documentaire de l’université. La moitié environ des crédits sont répartis entre les établissements selon les priorités affichées dans ces contrats (l’autre moitié selon des critères quantitatifs). Ces contrats ont permis d’encourager les universités dans la voie de l’augmentation des horaires d’ouverture des BU, de l’établissement de plans de développement des collections, de la modernisation des services, notamment par adoption de systèmes intégrés de gestion, de systèmes d’information et de programmes de numérisation des catalogues.

- Le fonctionnement en réseau. Cette dernière politique inclut :

. la formation initiale et continue des personnels (transformation en 1992 de l’ENSB en ENSSIB (Respectivement Ecole nationale supérieure des bibliothèques et Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques), qui a reçu le statut de grand établissement) et celle des usagers à l’information scientifique et technique ;

. l’accès à l’information bibliographique et la fourniture à distance des documents grâce au catalogue collectif de l’enseignement supérieur (le système universitaire de documentation, consultable par internet : plus de 5 millions de notices et plus de 5.000 connexions par jour) ;

. la conservation partagée, qui concerne surtout l’Ile-de-France qui prend appui sur la catalogue collectif et sur le Centre technique du livre de l’enseignement supérieur ;

. la coordination documentaire assurée notamment par les Centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (CADIST), pôles de références et de diffusion dans une discipline précise, implantés dans une BU retenue à cet effet, et au Consortium universitaire pour les périodiques numériques (COUPERIN) ;

. l’utilisation massive des nouvelles technologies : plus de 5.000 postes informatiques ont été mis à la disposition des lecteurs.

III – La situation actuelle et les projets en cours
Malgré ces progrès, la situation des BU françaises demeure très insatisfaisante (Cf. les deux notes précitées de M. Claude Jolly. Voir aussi : Annuaire des bibliothèques universitaires 1999.-2001, Paris : La Documentation française, juillet 2001, 105 p. Conseil supérieur des bibliothèques.- Rapport d’activité du secrétaire général 2000-2001, juillet 2001, 72 p.). La comparaison avec les autres grands pays européens ou avec les Etats-Unis ou le Japon est éloquente à cet égard. Certes, l’effort concernant les moyens et la modernisation des méthodes se poursuit et la décennie en cours ne devrait, peut-on espérer, pas entraîner un ralentissement de l’amélioration –que la stagnation prévisible des effectifs devrait rendre plus apparente-, mais on peut se demander si cela suffira à rattraper le retard accumulé par rapport aux pays voisins.

1 – La situation actuelle

Les quelque 100 BU françaises disposent, en 2.002, pour un effectif de 2.125.000 étudiants (dont un peu moins de 1,5 millions dans les universités et un peu plus d’1 million inscrits en bibliothèque), de 920.000 m2 de locaux, de 110.000 places de lecture (soit environ 4,2 heures de place ouverte par étudiant des universités ou environ 6 par étudiant inscrit en BU), de 5.600 emplois, de 92 millions d’euros de subventions de fonctionnement (68 millions de crédits d’acquisition) et de près de 30 millions de volumes et plus de 150.000 abonnements de revues en cours. On a vu que ces statistiques traduisaient une amélioration réelle de la situation au cours de la dernière décennie, apparente surtout depuis 1995, date à partir de laquelle les effectifs étudiants ont stagné.

Il n’en reste pas moins que, si l’on ne peut plus parler de situation sinistrée des BU, comme à la fin des années 1980, les BU françaises sont loin de soutenir la comparaison avec leurs homologues des pays comparables.

- En termes de nombre de BU, la situation française (95 BU en 1998) était comparable à celle de l’Allemagne (79 BU) ou de la Grande-Bretagne (111 BU). Si les Etats-Unis disposent de 3.408, ce chiffre est sans doute à relier avec la profusion de colleges et de petites universités. Certains pays européens avancent un nombre beaucoup plus élevé de BU (588 en Espagne et 1.513 en Italie), mais on peut penser que cela comporte des bibliothèques de composantes et de centres de recherche. Cet indicateur est donc peu significatif.

- On ne dispose pratiquement d’aucunes données comparatives sur la surface des locaux des BU et sur le nombre de places de lecture offertes, si ce n’est à travers des exemples (Pierre Merlin.- L’urbanisme universitaire à l’étranger et en France, Paris : Presses de l’ENPC, 1995, 416 p.). Les BU ont cependant rarement moins de 10.000 m2. Ainsi, la reconstruction de la bibliothèque de l’université d’Utrecht sur le campus De Uithof offre 25.000 m2 ; la bibliothèque centrale de l’Université Technique de Delft, 12.000 m2 (sans compter les bibliothèques des composantes). La Bibliothèque centrale de l’Université de Stockholm (26.000 étudiants), reconstruite il y a vingt ans sur le campus de Frescati, offre 24.000 m2 et 1.500 places de lecture. En revanche, celle de l’Université Autonome de Madrid n’offre que 7.000 m2 à ses 30.000 étudiants, mais il y a en outre 9 bibliothèques spécialisées. Aux Etats-Unis, les locaux des BU sont souvent beaucoup plus importants. Ainsi, la San Jose State University (un des campus de l’Université d’Etat de Californie) étend sa bibliothèque à 55.000 m2. En France, en 1.999, seules 32 BU et 6 bibliothèques interuniversitaires (BIU) dépassaient les 10.000 m2 (y compris les bibliothèques intégrées et associées) : la moyenne par université atteint exactement 10.000 m2 au total (surfaces des BIU comprise) et 1.120 places de lecture.

- En termes d’emplois, le Conseil supérieur des bibliothèques recense 4.062 agents dans les BU françaises en 1998 (l’Annuaire des bibliothèques en décompte 4.364 en 1.999, la sous-direction des bibliothèques environ 4.500). De 1.999 à 2.002, en quatre ans, 527 emplois ont été créés. Cet effectif (une cinquantaine d’emplois en moyenne par établissement) est très modeste, de l’ordre de la moitié de celui de l’Allemagne (8.008 agents en 1998) ou de la Grande Bretagne (9.558 agents). Les BU américaines des universités comparables (universités dites de recherche) comptent chacune plusieurs centaines d’agents (et même 1.040 à Harvard pour 18.500 étudiants). La situation semble en revanche comparable à celle du Japon (6.071 agents en 1997 dans les bibliothèques des universités et des collèges). Les horaires d’ouverture s’en ressentent inévitablement. On a vu qu’ils avaient augmenté en France de 40 à 56 heures en moyenne. Ils restent encore loin de la moyenne de 65 heures observée en Allemagne ou en Espagne et a fortiori des horaires pratiqués dans les grandes universités américaines (même si l’ouverture 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pratiquée par les plus grandes dans les années 1970, n’est plus de mise).

- Les crédits ne placent pas non plus les BU françaises en situation favorable. En 1998, les crédits d’acquisitions étaient de 60 millions d’euros pour les BU françaises, de 168 millions (2,8 fois plus) tant en Allemagne qu’en Grande-Bretagne et de 525 millions au Japon (8,75 fois plus qu’en France). Le budget d’acquisitions des plus grandes universités américaines (Harvard, Yale, etc.) atteint le quart de celui de l’ensemble des BU françaises ; celui des différents campus de la seule Université de Californie (166.000 étudiants en tout) dépasse celui de toutes les BU françaises.

- Ce sont les volumes des collections qui font apparaître le plus grand écart entre les BU françaises et les grandes BU étrangères. Les collections (environ 30 millions de volumes) font piètre figure à côté de celles des bibliothèques municipales (environ 100 millions) et départementales( près de 25 millions). La comparaison avec l’étranger n’est pas flatteuse : 140 millions de volumes en Allemagne, 90 millions en Grande-Bretagne, mais aussi presque autant qu’en France aux Pays-Bas et presque autant en Suède (25 millions) et même en Belgique ou en Suisse (20 millions). Les collections d’imprimés sont deux fois plus importantes en Grande-Bretagne et près de trois fois plus en Allemagne. Quand on sait que les acquisitions sont environ trois fois plus importantes en Allemagne et en Grande-Bretagne tant pour les livres que pour les périodiques, on voit que ce fossé n’est pas près de se combler. Les bibliothèques japonaises (universités et collèges) ont des collections six fois plus importantes que leurs homologues françaises et des acquisitions quatre fois plus importantes (pour un budget d’acquisitions huit fois plus important).

Il n’y a en France que quatre bibliothèques (toutes des BIU : Médecine Paris, Sorbonne, Sainte Geneviève, BNU de Strasbourg) qui dépassaient le million de volumes (la BIU de Montpellier approche ce chiffre) en 1.999 et que les premières BU dépassaient à peine les 500.000 volumes (Grenoble II et III, Bordeaux III, Strasbourg I). Aux Etats-Unis, au moins 50 BU dépassent les 2 millions de volumes ; Harvard (plus de 14 millions) dépasse la BNF (13 millions), Yale (plus de 10 millions s’en approche, Berkeley, Texas, UCLA, Michigan, Colombia, Cornell, Chicago, Indiana, Wisconsin, Washington, Princeton, Minnesota, Ohio State, North Carolina et Toronto au Canada (9 millions de volumes) dépassaient le seuil de 5 millions de volumes et avaient entre 40.000 et 100.000 abonnements (Harvard, à elle seule, a les deux tiers des abonnements de toutes les BU et BIU françaises).

2 – Les perspectives pour la décennie en cours

Les comparaisons internationales précédentes justifient que les pouvoirs publics n’aient pas, par exemple sous le prétexte de la stagnation des effectifs étudiants, ralentis l’effort entrepris au cours de la décennie précédente.

- L’effort concerne d’abord les constructions. Alors que les bibliothèques n’ont pas constitué une priorité affichée du plan Universités 2.000 elles en représentent une du plan " Universités Troisième Millénaire " (U3M). Il est vite apparu que les progrès de la documentation électronique ne réduisait en rien, voire contribuait plutôt à accroître, les besoins en documents sur support traditionnel. Les locaux de bibliothèque doivent à la fois réunir, traiter, stocker et mettre à la disposition des lecteurs ces documents traditionnels et offrir les moyens d’interroger les sources électroniques d’information. La demande va en outre de plus en plus vers une mise en libre accès d’une part plus importante des collections, ce qui est consommateur d’espace.

Le plan U3M n’est pas entièrement arrêté dans le détail de ses opérations et le schéma de services collectifs " Enseignement supérieur et Recherche " n’est précis que pour la période des contrats de plan en cours (2.000-2.006). 580 millions d’euros sont prévus au cours de cette période pour construire environ 380.000 m2. Si ce programme est respecté (les projets U 2.000 ont parfois débordé sur le XIe plan et il est probable que la complexité du montage de certaines opérations entraîne des retards analogues), cet effort représentera plus que pendant la décennie précédente (U 2.000 et XIe plan). Les principaux projets concernent les BU de Reims, du Havre, de Nantes (droit-économie), du Mans (lettres), de Lyon II, d’Annecy, mais aussi des DOM-TOM et surtout d’Ile-de-France, qui a été quelque peu négligée par le plan U 2.000. Dans cette région, les projets principaux sont ceux de l’Institut national d’histoire de l’art sur le site de l’ancienne Bibliothèque Nationale, la bibliothèque-photothèque du musée Branly, la bibliothèque scientifique du site de Jussieu, la bibliothèque de second cycle Sainte-Barbe, la BIU des langues orientales et la BU de Paris VII sur la ZAC rive gauche, celles des universités de Marne-la-vallée et de Versailles-Saint-Quentin.

- Une autre priorité est le développement de la fonction documentaire dans les universités par formation à la recherche documentaire et suivi individualisé des étudiants, collaboration avec les enseignants, par élaboration d’un plan de développement des ressources documentaires. Les contrats quadriennaux, l’association des étudiants au développement de la fonction documentaire, le tutorat documentaire et l’augmentation des horaires d’ouverture constituent les instruments privilégiés pour y parvenir.

- Un troisième axe est la généralisation des systèmes d’information pour que toutes les BU puissent accéder à toutes les ressources électroniques disponibles dans l’université. En outre, un effort doit être fait pour la numérisation des catalogues sur fiches et pour la numérisation des thèses.

Ces différents axes ne font, on l’aura noté, que prolonger la politique de la décennie précédente, sans rupture notable.

IV – Quelques problèmes actuels des BU françaises

1 – Quels moyens pour les BU?
Il apparaît, au vu de ce bilan, que l’effort quantitatif doit être poursuivi pour donner aux BU des moyens comparables à ceux des BU des grands pays universitaires.

- En matière de locaux, l’effort prévu dans le cadre du plan U3M, s’il est poursuivi, comme annoncé lors du lancement de ce programme, pendant la période suivante des contrats de plan, c’est-à-dire pendant encore une dizaine d’années, devrait permettre d’atteindre environ 1,5 million de m2 (en tenant compte du fait que toutes les opérations des contrats de plan en cours ne seront pas achevées fin 2.006, certaines étant très délicates à monter). Si les effectifs étudiants demeurent stables, comme les perspectives démographiques (les étudiants de cette période sont déjà nés), le ratio par étudiant atteindrait 1,05 m2. Il aurait été multiplié par 1,65 par rapport à aujourd’hui et plus que doublé par rapport à l.990. Le nombre de places de lecture devrait approcher les 200.000. Sans que ce niveau place la France en situation exceptionnelle, il devrait être plus comparable avec les ratios observés à l’étranger.

- L’effectif des personnels, si là encore le rythme actuel est maintenu (150 postes par an), ce qui suppose que les prochains gouvernements continuent à y voir une priorité liée à un rattrapage qui est loin d’être achevé, devraient dépasser 6.500 agents, soit plus du double de celui de 1989. Compte tenu de l’hypothèse de stabilité des effectifs étudiants, cela devrait permettre d’augmenter à nouveau les horaires d’ouverture des BU et au moins d’atteindre et de généraliser l’objectif actuel de 60 heures par semaine. Cela devrait aussi permettre de dégager du temps pour des actions de formation à la recherche documentaire des étudiants (et peut-être aussi des enseignants). Si les recrutements sont pertinents, le large renouvellement et le rajeunissement des personnels qui en résultera (et qui a déjà commencé à faire sentir ses effets positifs au cours de la décennie écoulée) devrait permettre une modernisation des méthodes et une ouverture vers la pédagogie, relayée par une osmose bien meilleure entre les personnels de bibliothèque et les enseignants, eux-mêmes plus sensibilisés aux questions de l’information scientifique et technique. Enfin, cela devrait permettre le traitement d’un volume d’acquisitions nettement accru.

- Car c’est sur le plan du volume des collections que l’effort quantitatif le plus important demeure à faire. On a vu que, sur ce plan, l’écart est (proportionnellement à la population ou à l’effectif des étudiants) de l’ordre de 1 à 5, voire davantage, avec les grands pays industriels comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Canada, le Japon, mais aussi avec les Pays-Bas, la Belgique, la Suède, la Suisse et probablement d’autres (Autriche, Finlande, Irlande, etc.) Cela suppose des moyens financiers (crédits d’acquisition) en forte hausse, mais aussi des personnels et des méthodes permettant de les traiter intelligemment et efficacement. Même les crédits d’acquisition pourtant fortement et progressivement accrus –ils ont plus que quadruplés-depuis la fin des années 1980 ne permettront pas un rattrapage dans un délai prévisible. Et ceci d’autant plus que le rattrapage en matière de documents sur papier ne doit pas s’effectuer au détriment de l’acquisition de documents sous forme électronique (déjà 15 % des crédits d’acquisition des BU) : il serait dramatique que les BU prennent du retard sur ce terrain.

Actuellement, les collections des BU, qui ont augmenté de moitié depuis la fin de la décennie 1.980, s’accroissent d’environ 1 million de volumes par an (mais le nombre d’abonnements de périodiques stagne depuis quelques années). Il faudrait donc une génération pour doubler le volume des collections, un siècle pour rejoindre le volume de celles des bibliothèques des pays étrangers comparables (… qui entre temps auront largement accru les leurs). Il n’est en outre pas certain que les moyens en personnels ne constituent pas un autre goulet d’étranglement. On peut au mieux retenir comme hypothèse le doublement des crédits d’acquisition dans les dix ans à venir, ce qui permettrait d’atteindre un volume global de l’ordre de 50 millions de volumes … vers 2.015.

2 – Quelques problèmes nouveaux

Les problèmes qui se posent aux bibliothèques universitaires françaises ne sont pas seulement quantitatifs. On a vu qu’un effort important avait été effectué et se poursuivait pour l’adaptation des méthodes, l’informatisation, la mise en réseau, la formation et l’information des étudiants, une meilleure osmose avec les universités.

Au cours de la prochaine décennie, quelques questions peuvent se poser en termes nouveaux :

- La nature des emplois dans les bibliothèques mérite d’être reconsidérée. D’abord sur le plan de la gestion des carrières. Est-il raisonnable qu’il y ait huit corps différents de fonctionnaires pour ce seul secteur? Un regroupement et une simplification, dont il ne nous appartient pas ici d’imaginer les détails possibles, s’impose.

La qualification des emplois pose aussi question. Les bibliothèques ne peuvent échapper au mouvement général qui conduit à recourir à des personnes de plus en plus qualifiées. Une amélioration significative du niveau s’est déjà produite dans les corps supérieurs (conservateurs, bibliothécaires). Mais il subsiste des emplois non qualifiés (magasiniers) qui correspondent à des tâches matérielles routinières et donc peu gratifiantes. Les personnels correspondants, dont les salaires sont par ailleurs bas, sont peu motivés. Leur rendement est très faible. Ne serait-il pas plus pertinent de les remplacer par des étudiants à temps partiel? Leur efficacité serait sans peine supérieure, d’autant que leur emploi ne serait pas permanent. Ils y trouveraient une aide matérielle utile à beaucoup et un contact avec le milieu de la documentation profitable pour leurs études. Cette pratique est courante dans la plupart des grands pays universitaires, et notamment aux Etats-Unis, où elle donne largement satisfaction. Ajoutons un autre avantage : ces étudiants préfèrent souvent effectuer leur service en bibliothèque en dehors des horaires classiques (où ils suivent des cours). Ils peuvent ainsi contribuer à l’augmentation des horaires d’ouverture.

Si les personnels scientifiques des bibliothèques, recrutés après un concours dont le niveau s’est fortement élevé, sont d’un très haut niveau de compétence intellectuelle et professionnelle, la question de leur rapport avec les universitaires demeure posée. Certes, la plupart ont une spécialité correspondant à leur discipline initiale. Mais ne seront-ils pas pleinement reconnus par les universitaires que selon les critères selon lesquels ces derniers sont eux-mêmes évalués (par leurs pairs), c’est-à-dire avant tout à travers leurs travaux de recherche et leurs publications? Ne convient-il donc pas d’encourager les personnels scientifiques des bibliothèques à entreprendre des thèses, à publier, voire à enseigner (pas nécessairement seulement les méthodes de recherche documentaire)?

- Un problème non résolu est celui du statut des bibliothèques interuniversitaires (9 à Paris, la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, les BU de Montpellier et Clermont-Ferrand). Ces bibliothèques patrimoniales sont actuellement mal intégrées. Les universités qui en assurent la tutelle le font parfois à contre cœur. Les autres universités concernées n’apportent, par convention, leur contribution qu’a minima. Leurs locaux sont le plus souvent inadaptés et difficiles à faire évoluer. Or, leur patrimoine (fonds anciens) est irremplaçable. La demande est souvent importante, au point que certaines des BIU parisiennes sont en permanence en situation d’asphyxie par manque de locaux, de places de lecture, de personnel. La question est posée depuis longtemps, sans avoir trouvé à ce jour de solution (Notamment dans le rapport du plan U3M de l’Ile-de-France : Comité stratégique des bibliothèques en Ile-de-France.- Orientations pour l’aménagement documentaire de l’Ile-de-France, second rapport, novembre 2.001, 52 p.). Ne convient-il pas de les ériger en établissements publics, indépendamment des universités avec lesquelles elles se lieraient par convention? Les autres solutions envisagées sont celles d’un rattachement à une université unique (elles deviendraient alors des BU de droit sinon de fait) ou la création d’un groupement d’intérêt public (GIP), solution prévue par les textes en vigueur mais non mise en œuvre. Quelle que soit la solution retenue, elle doit permettre (Ibidem, pp. 32-40) de :

. faciliter l’usage des BIU par l’ensemble des étudiants en troisième cycle et des chercheurs ;

. permettre aux BIU de faire face à leurs charges de gestion ;

. prévenir les conflits de compétences entre établissements ;

. donner une forte lisibilité aux BIU.

- Les rapports avec les universités ont été modifiés par la création des services communs de documentation. Mais cette réforme ne règle pas tout. Elle a d’ailleurs souvent été vécue par les BU comme une perte d’autonomie sans avantages clairement perceptibles. Certes, les craintes liées à la globalisation des dotations ne se sont pas, globalement, vérifiées : une université qui négligerait sa BU sur le plan des dotations ou puiserait abusivement dans les ressources de celle-ci sous prétexte de contribution aux frais généraux de l’université serait sanctionnée par la perte de prestige de sa bibliothèque, mais aussi lors de la négociation du contrat suivant de développement.

La tutelle de l’université sur sa BU se pose en des termes variés selon les établissements. Mais on ne peut exclure que certains présidents d’université souhaitent assurer une mainmise étroite sur leur BU. Certains interviennent parfois fortement dans le choix de leur directeur. D’autres en viendront probablement à faire nommer des universitaires ayant leur confiance et jugés plus aptes à adopter et à mettre en œuvre la politique de l’université. Cette perspective est d’autant plus vraisemblable que de nombreux enseignants, notamment parmi ceux qui n’ont plus guère d’activité de recherche, peuvent être tentés par des fonctions leur conférant un poids dans l’université, une raison d’être et des primes significatives. C’est déjà le cas dans de nombreuses bibliothèques universitaires à l’étranger et il n’est pas certain que le cloisonnement traditionnel des corps de fonctionnaires en France constitue un barrage définitif. Cette perspective offre des avantages, notamment quant à la qualité des relations entre l’université et sa bibliothèque. Il comporte aussi des risques : le directeur devra-t-il changer à chaque élection d’un président? La perte d’un débouché (les bibliothèques les plus prestigieuses seront sans doute les plus concernées) ne risque-t-elle pas de nuire à l’attrait de la carrière de personnel scientifique des bibliothèques (PSB)? Quoi qu’il en soit, cette possibilité ne fait que renforcer l’intérêt de voir des PSB mener à bien des thèses, avoir des activités très proches de celles des universitaires. Ne peut-on imaginer des PSB de haut niveau occupant successivement des fonctions dans les BU, puis d’enseignants-chercheurs, et revenant dans les BU dans des fonctions de direction avec une autorité accrue, tant au sein de la BU que par rapport à l’université?

De toute façon, les rapports entre les BU et leurs universités n’atteindront leur pleine efficacité que lorsque les unes et les autres, placées de fait en situation concurrentielle (elles le sont déjà, mais n’en ont pas conscience), auront un projet ambitieux et commun de développement, en liaison avec les collectivités territoriales et s’inscrivant dans un projet national ambitieux.

- Les rapports avec la Bibliothèque Nationale de France seront cruciaux pour l’avenir. Cet établissement entre dans la phase où les difficultés liées au transfert auront trouvé une solution. Elle constitue, actuellement et pour l’avenir, la pièce maîtresse du dispositif français de documentation scientifique et technique. Ses usagers sont avant tout les universitaires et chercheurs d’une part, les étudiants d’autre part. Il serait contre-productif que le système des BU n’en tire pas le maximum d’avantages. Inversement, certaines des difficultés de la BNF trouveront une solution à travers le développement de BU aux collections plus crédibles et mieux organisées. Ceci vaut tant pour les ressources électroniques (accès en ligne à des périodiques électroniques par exemple) que pour les fonds traditionnels. On peut évoquer notamment, sans aucune prétention à l’exhaustivité :

. l’effet de réduction de la saturation de la BNF à attendre de la création (ou de l’extension) de plusieurs grandes BU et BIU dans Paris ;

. la catalogue collectif de l’enseignement supérieur (SUDOC) doit être établi en collaboration étroite et intégré au catalogue collectif de France ;

. les rapports à établir entre la BNF et les CADIST, qui peuvent apporter une documentation spécialisée (littérature grise notamment, documents étrangers) plus riche dans des domaines précis que la BNF ;

. la nécessité de carrières comportant davantage de mobilité et notamment entre BU et BNF.

- De même, on doit poser la question des complémentarités à trouver, si elles existent, entre les BU et les bibliothèques territoriales (municipales et départementales). Il ne va pas de soi que les échanges puissent être aussi importants qu’on se plait souvent à l’imaginer, les besoins et les attentes des publics de chacun des systèmes étant très différents. Cela ne signifie pas que des complémentarités n’existent pas dans les faits. Certaines résultent des carences de l’un des systèmes, et longtemps de celui des BU : de nombreux étudiants trouvaient plus commode et plus efficace de fréquenter une bibliothèque municipale (BM), au fonds pourtant limité, pour des raisons pratiques (conditions d’accueil, de libre accès aux ouvrages, de prêt des documents à domicile, etc.). Cette motivation devrait disparaître avec l’amélioration du système des BU. Dans certains cas cependant, pour les étudiants de premier cycle notamment, les BM peuvent fournir un service de proximité à ne pas négliger. A l’inverse, les lecteurs les plus exigeants des BM peuvent être orientés vers des BU ou des BIU, et en particulier vers les CADIST sur un thème précis. En revanche, il convient de ne pas se faire trop d’illusions sur la possibilité pour les BU d’accueillir un public de proximité, en substitution en quelque sorte, à la BM. Les tentatives en ce sens n’ont pas toujours été concluantes : elles se traduisent parfois par une fréquentation moins par les habitants du voisinage que par les scolaires. Encore ceux-ci y recherchent-ils souvent plus une possibilité de distraction, voire de défoulement (consultation gratuite d’Internet par exemple) qu’un élargissement de leur champ d’information.

- Pour les mêmes raisons, le thème des rapports entre les bibliothèques et la ville doit-il être abordé sans angélisme. Nous avons largement plaidé ailleurs pour l’intégration de l’université dans la ville et pour l’intégration de la ville dans l’université (Pierre Merlin, op. cit., 1995. Voir aussi les Bulletins QSF) La bibliothèque semble a priori être un des terrains ou cette interpénétration se concrétiserait. En fait, la BU doit demeurer un lieu de calme. Même si elle est elle-même située au cœur de l’université, comme cela a été réussi avec bonheur par Pierre Riboulet à Saint-Denis, elle doit demeurer un lieu distinct, retiré de l’animation universitaire et urbaine, à l’abri de l’agitation et des problèmes de sécurité qui en résultent souvent.

Conclusion
Il ne saurait être question de conclure en proposant " des solutions ". Les problèmes des bibliothèques universitaires ont connu, depuis une douzaine d’années, des débuts de solution, notamment grâce à une amélioration spectaculaire de leurs moyens. Ceux-ci demeurent cependant très insuffisants et ne permettent pas de soutenir la comparaison avec leurs homologues étrangères. C’est sur le plan le plus significatif, le plus lourd à long terme, celui du volume des collections, que le retard est le plus profond et le plus difficile à combler à un horizon raisonnable. Mais, au-delà des questions de moyens, des problèmes qualitatifs doivent être posés.

Ces questions ne trouveront pas de réponse sans une réelle volonté politique. Celle-ci n’a pas manqué depuis la publication du rapport Miquel en 1989. Mais il y faudra une grande continuité pendant des décennies, voire, sur le plan des collections par exemple, pendant des générations. Il faut que les responsables, et d’abord les ministres successifs de l’Education nationale réaffirment sans relâche la place scientifique, sociale et culturelle des bibliothèques universitaires. C’est là la condition incontournable de la légitimité de l’énorme effort qui doit leur être consacré, sur une très longue période, par la collectivité nationale.