Yves Gaudemet
professeur de droit public à l'université Panthéon - Assas ( Paris 2)

Sur la possibilité pour les établissements privés de délivrer des diplômes nationaux ( à propos de la réforme dite du LMD)

Par un avis n.340.480 (section de l’intérieur), le conseil d’Etat, consulté sur le projet de loi sur l’enseignement supérieur (qui allait devenir loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur), a disjoint (c’est à dire donné un avis défavorable) la disposition du titre III du projet de loi qui autorisait le ministre chargé de l’enseignement supérieur à accréditer des établissements privés à délivrer des diplômes nationaux. Suivant un principe qui remonte à la loi du 16 fructidor an V et que les lois de la République n’ont jamais transgressé depuis 1880, la collation des grades est une opération de puissance publique qui est réservée aux établissements d’enseignement supérieur publics ; ce principe est nécessairement méconnu par une disposition qui permet à des établissement privés accrédités de délivrer un diplôme constatant l’admission aux grades.

Cet avis, donné lors de l’examen du projet de loi par le conseil d’Etat, est donné au seul gouvernement ; il n’est donc pas public et on ne peut pas en disposer en tant que tel. On en retrouve la trace dans les dispositions du projet de loi finalement déposé et dans la loi votée (aujourd’hui reprise au code de l’éducation).

Il me semble que d’autre part l’identification des diplômes nationaux aux grades a été faite dès la loi du 12 novembre 1968 (Edgar Faure) qui substitue les premiers aux seconds.

Observations complémentaires

L’article 4 de la loi du 18 mars 1880 évoqué ci – dessus, est maintenu par l’article L 613-1 du Code de l’éducation, lui – même issu d’une loi 2002-73 du 17 janvier 2002. De plus, ce même article L613-1 ne distingue pas entre les grades, les diplômes nationaux et les titres. Le monopole de l’État voit donc son domaine défini de la manière la plus large.

L’article L 621-1 du Code de l’éducation, selon lequel

Les instituts d'études politiques ont pour mission de compléter l'enseignement des sciences sociales, administratives et économiques donné dans les universités " trouve son origine dans l’ ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945, article 1er. Nous sommes loin d’un texte anodin dont on pourrait impunément restreindre le sens et la porté. On voit mal comment ces IEP pourraient délivrer une formation principale, en droit de plus.

Deux conclusions

• Autoriser des établissements privés à délivrer des diplômes nationaux apparaît inconstitutionnel

• Autoriser les IEP dont celui de Paris à délivrer des diplômes nationaux est illégal si ceux-ci sanctionnent une formation autre que complémentaire

Le 23 octobre 2004